Arrêt BSH v. Electrolux : compétence étendue des juridictions des Etats membres de l’Union européenne en matière de contrefaçon transfrontalière et validité de brevets.
Le 25 février 2025[1], la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») a opéré un véritable revirement de jurisprudence dont les conséquences pratiques sont cruciales : la juridiction de l’Etat membre de l’UE dans lequel le défendeur a son domicile est compétente pour se prononcer sur des faits de contrefaçon d’un ou plusieurs brevet(s) étranger(s) qu’il aurait pu commettre à l’étranger.
Interrogée sur l’interprétation de l’article 24, point 4[2] du règlement UE n°1215/2012 du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (« règlement Bruxelles I bis »), la CJUE a jugé que :
1. Pour les brevets délivrés par un Etat membre de l’UE :
- La juridiction de l’Etat membre du domicile du défendeur est compétente pour connaître d’une action en contrefaçon d’un brevet délivré dans un autre Etat membre, même lorsque le défendeur conteste, par voie d’exception, la validité de ce brevet.
- Cette même juridiction n’est pas compétente pour statuer sur la validité de ces brevets étrangers, même si la validité est soulevée par voie d’exception.
- Si une action en nullité a été introduite devant un autre Etat membre, la juridiction saisie de l’action en contrefaçon pourra décider de surseoir à statuer sur l’action en contrefaçon, « notamment lorsqu’elle estime qu’il existe une chance raisonnable et non négligeable que ce brevet soit annulé par le juge compétent dudit autre Etat membre» (paragraphe 51).
2. Pour les brevets délivrés par un Etat tiers à l’UE :
- La juridiction de l’Etat membre du domicile du défendeur est compétente pour connaître d’une action en contrefaçon d’un brevet délivré ou validé dans un Etat tiers.
- Cette même juridiction est aussi compétente pour statuer sur l’exception de validité de ce brevet délivré ou validé dans un Etat tiers.
- La décision sur l’exception de validité n’a qu’un effet inter partes et non erga omnes. Selon la CJUE, la portée de cette décision n’est « pas de nature à affecter l’existence ou le contenu dudit brevet dans cet Etat tiers ou à entrainer la modification du registre national de celui-ci. » (paragraphe 76)
- Pour les questions de sursis à statuer, litispendance ou connexité, il conviendra de déterminer s’il existe une convention entre l’Etat membre de la juridiction saisie et l’Etat tiers où une procédure est déjà pendante, le cas échéant.
L’objectif de la CJUE est exprimé de manière claire : dès lors que le brevet fait l’objet d’une contrefaçon par un même défendeur dans plusieurs Etats, il est pertinent de lui permettre « de concentrer l’ensemble de ses demandes en contrefaçon et d’obtenir une réparation globale devant un seul for, en évitant ainsi notamment le risque de décisions divergentes. » (paragraphe 49).
Cet arrêt est rendu quelques semaines après que la Juridiction unifiée du brevet (« JUB ») a déclaré[3] être compétente pour connaître de la contrefaçon des parties nationales d’un brevet européen relevant d’Etats n’ayant pas ratifié l’Accord relatif à une juridiction unifiée du brevet (« AJUB »), dès lors que le défendeur a son domicile dans l’un des Etats ayant ratifié l’AJUB.
Ce nouveau contexte jurisprudentiel est déterminant dans les stratégies judiciaires et choix de forum lors de la préparation d’actions en contrefaçon de brevet.
La JUB ne semble pas être la seule juridiction en mesure d’examiner des cas de contrefaçon transfrontalière, et le choix d’une juridiction nationale pourrait être favorable au titulaire d’un brevet européen, en lui évitant de risquer une demande reconventionnelle en nullité de son entier titre, comme cela est le cas devant la JUB.
Il s’agira d’examiner avec attention les prochaines applications de ces nouveaux principes, en particulier au regard des questions pratiques et concrètes qu’ils sont susceptibles de poser en matière probatoire, de loi applicable, de reconnaissance des décisions et de leur exécution.
[1] CJUE, 25 février 2025, C-339/22, BSH v. Electrolux, disponible ici
[2] Cet article dispose : “Sont seules compétentes les juridictions ci-après d’un État membre, sans considération de domicile des parties:
[…]
4) en matière d’inscription ou de validité des brevets, marques, dessins et modèles, et autres droits analogues donnant lieu à dépôt ou à un enregistrement, que la question soit soulevée par voie d’action ou d’exception, les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le dépôt ou l’enregistrement a été demandé, a été effectué ou est réputé avoir été effectué aux termes d’un instrument de l’Union ou d’une convention internationale.
Sans préjudice de la compétence reconnue à l’Office européen des brevets par la convention sur la délivrance des brevets européens, signée à Munich le 5 octobre 1973, les juridictions de chaque État membre sont seules compétentes en matière d’inscription ou de validité d’un brevet européen délivré pour cet État membre; »
[3] LD Düsseldorf, 28 January 2025, UPC CFI 355/2023