La loi définit l’esport comme « une compétition de jeux vidéo [qui] confronte, à partir d’un jeu vidéo, au moins deux joueurs ou équipes de joueurs pour un score ou une victoire. »[1]
De nombreux jeux donnent lieu à une pratique compétitive, parmi les plus connus League of Legends (Riot Games), Counter-Strike 2 ou encore DotA 2 (Valve Corporation).
L’esport est un objet de droit unique. Sa nature compétitive pourrait interroger quant à l’application du régime général des manifestations sportives. Pourtant, celui-ci semble exclu, au profit des règles classiques du droit de la propriété intellectuelle. Cet écosystème repose donc sur une construction contractuelle, qui impose une vigilance particulière dans les clauses qu’ils contiennent.
1/ Des évènements exclus du monopole garanti par le Code du sport
L’organisateur d’un évènement sportif traditionnel bénéficie d’un monopole sur l’exploitation de cet évènement, qui lui est garanti par l’article L.333-1 du Code du sport. Il est seul à pouvoir tirer les fruits de l’évènement.
Cet article du Code du sport s’applique (i) aux fédérations sportives et (ii) aux organisateurs de manifestations sportives concernant « une discipline qui a fait l’objet d’une délégation de pouvoir » du Ministre des sports[1]. Cet article du Code du sport ne s’applique donc qu’aux disciplines sportives et non aux disciplines esportives, qui sont exclues.
En effet, il n’existe, à notre connaissance, pas de fédération unique ayant reçu délégation du Ministre chargé des sports pour les compétitions de jeux vidéo.
Dans ces conditions, les modalités d’organisation d’un tel évènement, ainsi que les droits entourant ce dernier, reposent sur les règles traditionnelles du droit de la propriété intellectuelle.
2/ L’application de règles classiques du droit de la propriété intellectuelle
L’éditeur d’un jeu peut disposer de droits de propriété intellectuelle sur celui-ci.
Il est admis qu’un jeu vidéo est une œuvre complexe, protégée (si elle est originale) selon le droit français et européen par le droit d’auteur[2].
L’éditeur du jeu peut aussi avoir déposé des marques, ou des dessins et modèles, sur certains éléments graphiques du jeu.
La reproduction de ces éléments, sans autorisation du titulaire des droits, est susceptible d’être considéré comme un acte de contrefaçon.
Même si le jeu est mis à disposition gratuitement des joueurs, ou bien acheté par ces derniers, les licences d’utilisation visant cette utilisation ne permettent pas d’organiser une manifestation compétitive, à but commercial.
La plupart du temps, les autorisations accordées par ces licences sont limitées à un but non-commercial. C’est par exemple le cas de la licence du jeu League of Legends, qui stipule que Riot accorde au joueur une licence « limitée, non-exclusive, non-transférable, révocable pour utiliser et profiter des Riot Services et ayant pour but son divertissement personnel et non commercial.[3] »
La jurisprudence française considère que le fait d’outrepasser les termes d’une licence serait constitutif d’un acte de contrefaçon[4].
Lorsqu’il est lui-même organisateur d’un évènement esportif, cela ne pose pas de difficulté. L’éditeur est libre d’exploiter ses droits de propriété intellectuelle comme il l’entend.
Lorsque l’organisateur est un tiers, cette situation juridique l’obligera à obtenir l’autorisation auprès de l’éditeur de reproduire les éléments protégés, pour les besoins spécifiques de la manifestation envisagée. Il risque sinon d’être poursuivi en contrefaçon par l’éditeur.
3/ Les licences aux fins d’organisation de manifestations esportives
Soucieux de promouvoir la diffusion de leurs jeux vidéo, la pratique des éditeurs consiste à mettre à disposition des organisateurs potentiels d’évènements esportifs des licences types.
Riot Games, par exemple, prévoit différents types de licences sur son jeu League of Legends, en fonction du type de tournoi envisagé[5] :
- Une « Small Tournament license », pour les plus petits tournois ;
- Une « Medium tournament license », pour les tournois de taille moyenne ;
- Une « Multi-School tournament license », pour les tournois inter-universitaires ; et
- Une « Major Tournament license », pour les organisateurs de tournois professionnels de grande envergure, dont c’est l’activité principale.
Chacune de ces licences prévoit des modalités contractuelles particulières, selon leur but principal. L’éditeur exerce un important contrôle sur ces derniers.
En contrepartie de l’autorisation d’utilisation de ses droits de propriété intellectuelle, l’éditeur dispose d’un droit de regard, entre autres, sur :
- La structure du tournoi (durée, format de compétition, etc…) ;
- Le calendrier du tournoi (dont les dates ne doivent pas se confondre avec celles d’évènements organisés par ailleurs par l’éditeur) ;
- Le financement du tournoi (en particulier, le nombre de sponsors qui peuvent participer, les sponsors dont la participation est interdite par nature, le montant maximal autorisé de leur participation, la manière dont leur nom peut apparaître dans le matériel promotionnel) ;
- La communication autour de l’évènement (en particulier, l’utilisation de termes particuliers qui sont utilisés par l’éditeur dans l’organisation de ses propres évènements sont parfois prohibés : « Championship », « Champions », « Season », « League », « Division » ou autres) ;
- Les modalités de rediffusion du tournoi sur différentes plateformes de streaming ;
- Les modalités de commercialisation de produits dérivés.
Valve Corporation propose un système semblable de licences pré-établies[6]. Cette licence prévoit par exemple un droit de reproduction de la propriété intellectuelle de Valve Corporation pour les besoins d’organisation du tournoi, d’en faire la promotion, ou de distribuer/rediffuser le tournoi en ligne.
Ces licences ressemblent donc à des contrats d’adhésion, où l’organisateur soumet son projet d’évènement à l’éditeur, qui l’autorise ou non à l’organiser selon les modalités proposées. Il y a peu de marge de négociation pour l’organisateur.
Pour les tournois les plus ambitieux, les éditeurs prévoient d’ores et déjà la possibilité pour l’organisateur de bénéficier de licences sur mesure, au plus proche des besoins de ce dernier. Ces contrats nécessiteront donc une analyse fine, pour s’assurer d’une exploitation conforme aux besoins de l’organisateur, sur tous les sujets abordés par le contrat.
[1] Article 101 de la LOI n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique
[2] Articles L.331-5 et L.131-14 du Code du sport
[3] CJUE, Affaire C-355/12, 23 janvier 2014, Nintendo
[4] https://www.riotgames.com/en/terms-of-service#id.2jxsxqh, consulté le 13 novembre 2024
[5] Cour de cassation, 5 octobre 2022, 21-15.386 ; suivi de Cour d’appel de Paris, 14 février 2024, 22/18071
[6] https://riot.eurcommunitycompetition.com/games/league-of-legends/guidelines, consulté le 13 novembre 2024
[7] https://store.steampowered.com/tourney/limited_license , consulté le 13 novembre 2024