Le Tribunal de l’Union Européenne a rejeté le 6 décembre 2023 deux actions en nullité déposées par la société BB Services GmbH à l’encontre de deux marques tridimensionnelles portant sur des figurines-jouets, car leurs formes ne sont pas exclusivement dictées par la nature même du produit ni par une forme nécessaire à l’obtention d’un résultat technique (arrêts du Tribunal de l’Union Européenne TUE T-297/22 et T-298/22).
n°50450 n°50518
L’Article 7, paragraphe 1, sous e), i) et ii), du règlement (UE) 2017/1001 dispose que « 1. Sont refusés à l’enregistrement: […] e) les signes constitués exclusivement: i) par la forme, ou une autre caractéristique, imposée par la nature même du produit; ii) par la forme, ou une autre caractéristique du produit, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique; […] ».
Il ressort de l’appréciation du Tribunal de l’Union Européenne que ces motifs de refus d’enregistrement doivent être rejetés lorsque les marques présentent au moins une caractéristique essentielle qui n’est pas imposée par la nature même du produit ou dès lors qu’il existe au moins une caractéristique essentielle de la forme qui n’est pas nécessaire à l’obtention d’un résultat technique.
Pour apprécier la validité des marques, le Tribunal s’appuie dans un premier temps sur l’analyse de la nature du produit puis sur la détermination de ses caractéristiques essentielles qui en découle dans le but de déterminer (i) s’il existe au moins une caractéristique essentielle qui n’est pas imposée par la nature même du produit et (ii) s’il existe au moins une caractéristique essentielle de la forme qui n’est pas nécessaire à l’obtention d’un résultat technique.
Sur la nature du produit, il considère que les marques sont à la fois des « figurines-jouets » dont la finalité est de jouer, et donc non technique, et également des « figurines de construction emboîtables », de nature technique en raison de leur caractère emboîtable et de leur modularité avec le système de construction Lego® du titulaire des marques.
Pour apprécier les caractéristiques essentielles de la marque tridimensionnelle, à savoir les éléments les plus importants de celle-ci, le Tribunal rappelle qu’il convient de prendre en considération la représentation graphique de la marque mais également les autres éléments utiles ayant trait à la nature du produit concret, en particulier la connaissance par le public du système modulaire de construction de l’intervenante « même s’ils ne sont pas visibles dans la représentation » de la marque.
A partir de là, le Tribunal a identifié comme caractéristiques essentielles des produits non seulement des caractéristiques « non techniques » qui leur confèrent un aspect humain (la tête, le torse, les bras et les jambes), mais également les caractéristiques « techniques » propres à leur nature de « figurine de construction emboîtable » (le tenon sur la tête, les accroches aux mains, les trous à l’arrière des jambes et sous les pieds de la figurine).
(i) Sur le premier moyen, pour déterminer si la marque tridimensionnelle est ou non constituée exclusivement par la forme, ou une autre caractéristique, imposée par la nature même du produit, le Tribunal relève que le créateur de la figurine bénéficie d’une large liberté de conception.
Il en déduit que « les caractéristiques ornementales et de fantaisie qui en résultent (la forme cylindrique ou « en tonneau » de la tête de la figurine, la forme courte et rectangulaire du cou et la forme trapézoïdale, plate et angulaire du torse, ainsi que pour la forme spécifique des bras avec les mains et celle des jambes avec les pieds) ne sont pas inhérentes à sa fonction générique de figurine-jouet ou à celle de figurine de construction emboîtable ».
Il conclut donc que la marque est apte à être enregistrée.
(ii) Sur le second moyen, le Tribunal rappelle que « dans le cadre de l’examen de la fonctionnalité d’un signe constitué par la forme d’un produit, il importe seulement d’apprécier, après que les caractéristiques essentielles dudit signe ont été identifiées, si ces caractéristiques répondent à la fonction technique du produit concerné ».
Il déclare ensuite que « le motif de refus énoncé à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 40/94 ne peut s’appliquer dès qu’il existe au moins une caractéristique essentielle de la forme qui n’est pas nécessaire à l’obtention d’un résultat technique, de sorte que la marque contestée n’est pas constituée « exclusivement » par la forme nécessaire à l’obtention d’un résultat technique », c’est-à-dire « lorsque la marque demandée ou contestée porte sur une forme de produit dans laquelle un élément non fonctionnel, tel qu’un élément ornemental ou fantaisiste, joue un rôle important ».
A cet égard, il considère que, bien que la finalité technique liée au caractère emboîtable et à la modularité soit obtenue par des caractéristiques essentielles (les accroches aux mains de la figurine et des trous sous ses pieds et à l’arrière de ses jambes), il existe également d’autres caractéristiques essentielles (la forme cylindrique ou « en tonneau » de la tête de la figurine en cause, la forme courte et rectangulaire du cou et la forme trapézoïdale, plate et angulaire du torse, ainsi que pour la forme spécifique des bras avec les mains et celle des jambes avec les pieds) qui ne sont pas nécessaires à l’obtention d’une finalité technique.
Par conséquent, le Tribunal rejette également le motif de refus d’enregistrement lié à la forme nécessaire à l’obtention d’un résultat technique.
Les enseignements à retirer de cette décision :
- Une appréciation concrète du produit objet du dépôt de marque tridimensionnelle qui ne résulte pas uniquement de la représentation graphique de la marque mais également les autres ayant trait à la nature du produit concret: on va donc tenir compte des éléments non visibles, tels que les dispositifs techniques et les mécanismes contenus dans le produit, et qui sont perçus par le public lors de son utilisation. Cette approche avait déjà été retenue dans des décisions précédentes (arrêt du 24 octobre 2019, Forme d’un cube avec des faces ayant une structure en grille, T‑601/17), [arrêt du 12 novembre 2008, la face inférieure de la brique dans le cas de la « brique Lego », T‑270/06) ;
- La définition des caractéristiques essentielles d’une marque tridimensionnelle qui peuvent être « techniques » et « non-techniques », qui doivent être appréciées au regard de la nature du produit concret; là encore, le Tribunal s’appuie sur la jurisprudence antérieure qu’il cite dans sa décision (arrêts du 10 novembre 2016, Simba Toys/EUIPO, C‑30/15, et du 23 avril 2020, Gömböc, C‑237/19) ;
- Le degré de liberté du créateur dans l’élaboration du produit afin de pouvoir identifier les caractéristiques ornementales et de fantaisie qui ne sont pas imposées par la nature même du produit ni nécessaires à l’obtention d’une finalité technique. Ce critère est celui utilisé lors de l’appréciation du caractère individuel d’un dessin ou modèle.
Cette décision peut encourager les déposants à protéger à titre de marque tridimensionnelle leurs produits vedettes présentant des caractéristiques ornementales et de fantaisie. Toutefois, il convient également que ces produits présentent un caractère distinctif, c’est-à-dire qu’ils divergent de la norme et des habitudes du secteur.
Lavoix reste à votre disposition pour répondre à toute question que vous pourriez avoir sur cette décision.